Enki
Dieu sumérien
Organisateur de la vie sur notre planète, maître du destin et des équilibres terrestres, le prince Enki est une divinité primordiale du panthéon sumérien. Il est celui façonnant l'existence des êtres vivants et régulant l'ordre cosmique en agissant sur la nature et ses forces invisibles.
Enki fait sa première apparition dans une barque, émergeant du fond du golfe Persique, ce vaste territoire aquatique qui borde l'ancienne Mésopotamie. Il choisit d'élire domicile dans les marais fertiles bordant les rives du Tigre et de l'Euphrate, ces fleuves nourriciers qui apportent la prospérité aux hommes et aux dieux. Avec son intelligence et son pouvoir de transformation, il apprivoise ces lieux hostiles et y érige un temple majestueux, fait entièrement de métal précieux et de pierres rares. Ce sanctuaire, connu sous le nom de «Maison de l'Abîme», devient le cour spirituel d'un vaste territoire s'étendant peu à peu autour de lui. La cité d'Éridu naît ainsi sous sa protection, et il en devient la divinité tutélaire.
L'architecte de la vie et du monde
Bien qu'Enki ne soit pas le créateur suprême, il est néanmoins le moteur de la vie et l'ordonnateur du monde matériel. Son origine remonte au Dilmoun, une contrée mythique considérée comme un paradis primordial, d'où proviennent les richesses minières, notamment le cuivre indispensable à la civilisation sumérienne. Dans ce pays béni, il demeure en compagnie de son épouse vierge, qui l'interpelle et lui réclame l'élément fondamental à toute vie?: l'eau pure. En réponse à cette demande, Enki déclare avec sagesse :
«Le cycle du soleil apportera, dans une seule révolution céleste, l'eau dont tu as besoin. Il inondera tes vastes terres et fera jaillir des sources éternelles pour que la vie puisse s'y établir.»
Dans sa puissance féconde, Enki s'unit à son épouse, puis à sa propre fille, et enfin à sa petite-fille. Par ces unions successives, il devient la source absolue de toute vie, garantissant ainsi la perpétuation des générations divines et terrestres. Toutefois, cet enchaînement d'actes créateurs prend un tournant particulier lorsque Ningursag, son épouse, conseille à sa petite-fille de lui réclamer des fruits, introduisant ainsi une nouvelle dimension dans le cycle de la nature : la naissance des plantes. Cependant, Enki, emporté par son désir, consomme ces fruits sans leur assigner de destinée, brisant ainsi l'harmonie de son rôle créateur. Ce geste irréfléchi entraîne son affaiblissement, un état d'épuisement qui menace son existence divine. Il ne retrouve ses forces que grâce au «?Regard de vie?» que lui adresse Ningursag, lui rendant ainsi son équilibre.
Le civilisateur et le sage
Surnommé le «dieu à l'intelligence vaste», Enki est également reconnu pour sa ruse, son ingéniosité et son rôle central dans le développement de la civilisation. Artisan des arts magiques et des savoirs techniques, il consacre son temps à corriger les erreurs des autres dieux et à combler les lacunes de la création. Chaque geste qu'il accomplit, chaque parole qu'il prononce apporte une avancée précieuse à l'organisation du monde humain.
Sous son impulsion, les trésors cachés de la «colline sacrée» sont révélés aux hommes : il fait sortir le bétail et le grain de leurs domaines divins pour les offrir aux mortels, posant ainsi les bases de l'agriculture et de l'élevage.
Lors d'un banquet festif, la déesse Ninmah le défie en lui présentant des hommes marqués par des difformités et en l'invitant à leur trouver une place dans la société. Enki, jamais à court d'idées, relève ce défi avec brio et attribue à chacun un rôle spécifique : il fait d'un être frêle et inapte aux travaux physiques un officier du roi, donne à un aveugle la mission de devenir poète et confie à une femme stérile le métier de prostituée sacrée.
Ces décisions démontrent son intelligence pragmatique et sa capacité à intégrer même les plus faibles dans le tissu social, illustrant ainsi son rôle fondamental de guide et de bienfaiteur pour l'humanité.
Les Mes, piliers de la civilisation
La déesse Inanna, souveraine d'Uruk, souhaite voir sa ville surpasser toutes les autres en splendeur et en richesse. Pour y parvenir, elle convoite les Mes, ces essences fondamentales de la civilisation, que seul Enki détient.
Ces Mes sont innombrables et couvrent tous les aspects de la vie humaine et divine :
- Pouvoirs divins (divinité, royauté, sacerdoces)
- Organisations sociales (famille, droit, administration, guerre)
- Activités économiques et artistiques (prostitution, commerce, poésie, musique)
- Qualités morales et intellectuelles (sagesse, justice, réflexion, courage)
Pour les obtenir, Inanna met en place un stratagème subtil?: elle cherche à enivrer Enki par une fête luxuriante et des offrandes de vin. Si Enki se laisse séduire par cette célébration, il ne se montre cependant pas dupe du vol. Mais, contrairement à ce que la déesse pensait, les Mes ne sont pas des objets que l'on peut soustraire?: ils se transmettent sans perte d'énergie ni d'efficacité. Enki, toujours sage et réfléchi, ne cherche pas à les récupérer de force et accepte la situation avec philosophie. Il incarne ainsi la patience et la prudence divine, préférant le dialogue à l'affrontement.
Le stratège et le protecteur de l'humanité
Enki intervient régulièrement pour protéger et guider les dieux et les hommes face aux épreuves. Il joue un rôle clef dans plusieurs récits épiques :
- Il conçoit un artifice capable de charmer la redoutable Ereshkigal, souveraine des Enfers, afin de sauver la déesse Inanna emprisonnée dans son royaume souterrain.
- Il empêche le dieu Enlil d'exterminer l'humanité en déclenchant famines, épidémies ou déluges dévastateurs.
- Il assiste le sage Atrahasis dans la construction de son arche, permettant ainsi à certains humains de survivre aux catastrophes divines.
- Il conseille le héros destiné à combattre le terrible géant Anzu, qui menace l'ordre cosmique en volant les Tablettes du Destin.
Maître des ruses et des stratégies complexes, Enki réussit toujours à rétablir l'équilibre, même lorsque la situation semble désespérée. Par des actions subtiles et souvent détournées, il s'assure que l'humanité et la civilisation continuent d'évoluer. Ainsi, il persuade Nergal, envoyé aux Enfers, d'épouser la terrible Ereshkigal afin de neutraliser son pouvoir. De même, il manipule Adapa, un sage mortel, pour qu'il refuse inconsciemment l'immortalité et conserve sa place auprès des dieux.
Ainsi, Enki se distingue non seulement par son intelligence et sa sagesse, mais aussi par son esprit rusé et pragmatique, qualités essentielles à la survie et à l'évolution du monde.