Tengri
Le Dieu des Mongols
Tengri, que l'on nomme parfois également Od ou Odlek, est la divinité suprême vénérée par les peuples mongols depuis des temps immémoriaux. Son nom est étroitement associé à la voûte céleste et au concept du temps personnifié. Il incarne à la fois l'éternité et l'ordre universel régissant le monde des hommes et des esprits. Son influence s'étend au-delà des simples phénomènes naturels, car il est perçu comme la force organisatrice qui dicte le mouvement des astres, la stabilité des royaumes et la prospérité des peuples.
Tengri est une entité qui dépasse la compréhension humaine et dont la puissance se manifeste à travers les lois naturelles qu'il impose. Il est à l'origine de l'harmonie céleste et terrestre. Il est la cause première des cycles climatiques, des saisons, des successions de jours et de nuits, ainsi que des bouleversements cosmiques. Ses interventions sont visibles dans les orages qu'il déclenche, la pluie qu'il accorde ou refuse, et les tempêtes qui marquent sa colère.
Il est dit que Tengri agit depuis l'intérieur même de chaque être vivant. Il insuffle en eux une énergie fondamentale leur permettant de se mouvoir, de penser et de ressentir. Il guide leurs actions en leur conférant une orientation propre, adaptée tant à leur destinée individuelle qu'à l'équilibre général de l'univers. Il est le dispensateur du destin, attribuant à chacun sa part de chance et de richesse. Toutefois, bien qu'il ne soit pas explicitement décrit comme un créateur absolu, il est reconnu comme celui qui garantit le bon fonctionnement et la perpétuation du monde.
Tengri ne se contente pas d'observer le déroulement des événements terrestres, il délègue une partie de son autorité à l'empereur mongol, devenant ainsi le garant de sa volonté sur terre. L'empereur n'est pas seulement un souverain politique, il est également un prêtre investi d'un rôle sacré : celui d'exécuter les décrets divins émanant de Tengri. Ces décrets touchent tous les aspects de la vie : les lois de l'État, les règles de conduite des individus et les obligations rituelles que doivent respecter les Mongols pour rester en harmonie avec l'ordre céleste.
Mais la puissance de Tengri ne se limite pas à sa bienveillance. Il est un dieu exigeant, dont la justice est implacable. Ceux osant lui désobéir subissent son courroux, et sa punition est sans appel. Pour un individu, cela signifie une mort prématurée, une vie marquée par le malheur ou la maladie. Pour un peuple entier, la sentence peut aller jusqu'à l'anéantissement total, une extermination qu'aucune intervention humaine ne saurait empêcher. Dans la conception mongole, il n'existe pas de notion de récompense ou de châtiment après la mort : tout se joue dans le monde des vivants. L'au-delà n'est pas un lieu de rétribution, mais un passage vers une autre forme d'existence dont les détails restent impénétrables.
Tengri est intimement lié à un animal qu'il affectionne particulièrement : le cheval. On raconte que ce dieu souverain chevauche un destrier céleste et parcourt ainsi l'ensemble du monde pour veiller à son équilibre. Il répare ce qui est brisé, restaure ce qui a été détruit, et favorise la paix entre les hommes. C'est en son honneur que l'empereur, en tant que grand prêtre, organise des cérémonies de sacrifice équin. Lors de ces rituels, le peuple mongol se réunit pour offrir un cheval en sacrifice, espérant ainsi attirer la faveur de Tengri et s'assurer prospérité et protection.
Les divinités associées à Tengri
Bien que Tengri soit la plus haute entité divine, il n'est pas seul. Il existe une multitude de divinités secondaires étant appelées elles aussi "tengri". Ces entités inférieures sont perçues comme ses enfants ou ses émissaires chargés d'accomplir sa volonté sur terre. Elles se manifestent à travers divers éléments de la nature : la terre, les montagnes, les rivières, le feu et les arbres. Chacun de ces éléments est animé d'une force qui lui est propre, bien qu'elle demeure entièrement dépendante de la suprématie de Tengri.
Le soleil et la lune tiennent une place particulière dans cette cosmogonie. Contrairement aux autres divinités subalternes, ces astres semblent jouir d'une indépendance relative. Quant à Vénus, elle est surnommée "la virile", une combattante inflexible qui, chaque matin, chasse les étoiles de la nuit pour annoncer l'aube naissante. De ces astres découle un culte particulier, fondé sur des rituels de circumambulation imitant le mouvement apparent du ciel et permettent aux hommes de se synchroniser avec les rythmes cosmiques.
Dans certaines traditions, une autre divinité majeure apparaît aux côtés de Tengri : la grande déesse Umaï. Elle ne lui est pas totalement associée en tant qu'épouse ou compagne, mais elle occupe un rôle essentiel dans le panthéon mongol. Elle est la déesse de la maternité, surnommée «la pure mère aux soixante-dix berceaux». On la représente souvent avec une chevelure ornée d'innombrables tresses d'or, symboles de fécondité et d'abondance. Elle veille sur les naissances et la prospérité des familles, jouant ainsi un rôle complémentaire à celui de Tengri, garant de l'ordre cosmique et politique.
L'origine du chamanisme
Selon une légende rapportée par Régis Boyer dans Les Religions de l'Europe du Nord (Paris, 1974, p. 689), les tengri de l'Ouest créèrent les premiers hommes et leur accordèrent une existence heureuse, exempte de maladie et de souffrance. Cependant, ces hommes finirent par attirer la colère des tengri de l'Est, ce qui entraîna l'apparition des maladies et de la mort. Devant la détresse humaine, les tengri de l'Ouest décidèrent de leur venir en aide en désignant un intermédiaire capable d'interagir avec le monde des esprits. Ils choisirent alors l'aigle comme symbole de cette fonction sacrée et confièrent aux hommes un chaman pour les guider dans leur lutte contre les forces maléfiques.
Le rôle des chamans
Les chamans occupent une place essentielle dans la spiritualité mongole. Ils servent de pont entre le monde inférieur et le monde supérieur, communiquant avec les esprits sans pour autant devenir leurs serviteurs. Grâce à des pratiques mêlant magie, transe et extase, ils parviennent à établir un lien direct avec les entités invisibles qui régissent l'univers.
Lorsqu'un chaman entre en transe, il peut s'élever jusqu'au domaine de Tengri pour lui présenter les offrandes de la communauté. Il peut également descendre dans les profondeurs du monde souterrain afin de récupérer l'âme d'un malade, volée par des démons, ou d'accompagner celle d'un défunt jusqu'à sa dernière demeure. Par ces voyages mystiques, le chaman rétablit l'harmonie entre les vivants et les esprits, garantissant ainsi la pérennité de l'ordre cosmique voulu par Tengri.