Karnak
Le site de Karnak, inscrit au patrimoine mondial, est probablement l'un des sites antiques les plus célèbres d'Égypte, juste après les emblématiques pyramides de Gizeh. Il est également considéré comme l'un des plus vastes ensembles religieux construits par l'homme dans l'histoire antique, avec une envergure et une complexité qui témoignent du génie architectural et de la dévotion religieuse des anciens Égyptiens. Le nom antique de Karnak était Ipet-isout, qui se traduit littéralement par «le plus estimé des lieux», reflétant ainsi le prestige spirituel et le rôle central que le site occupait dans la vie religieuse et politique de l'Égypte ancienne. L'ensemble architectural comprend une série de temples monumentaux, de sanctuaires et de lacs sacrés interconnectés, situés sur la rive est du Nil, et s'étend sur une surface impressionnante de plus d'un kilomètre (1,6 mille) du nord au sud et d'une largeur d'environ 0,8 km (0,5 mille) d'est en ouest, ce qui en fait un complexe gigantesque par rapport à la plupart des constructions religieuses antiques.
À l'instar de la majorité des temples égyptiens, l'enceinte de Karnak est orientée vers le Nil, reflétant l'importance du fleuve dans la vie quotidienne, économique et rituelle. Directement en face, sur la rive ouest du Nil, se situe la célèbre nécropole royale, connue sous le nom de Vallée des Rois, lieu de repos ultime des pharaons et de leurs proches. L'enceinte principale, dédiée au dieu Amon-Rê, comporte un alignement central remarquable de temples et de portails cérémoniels, appelés poylônes, qui forment un axe rituel parfaitement structuré. Cet axe n'était pas seulement un outil symbolique ou architectural : il servait à relier visuellement et spirituellement le temple au paysage environnant, renforçant la dimension sacrée du site et son lien avec le divin.
Le physicien et pionnier de l'archéoastronomie à l'époque victorienne, J. Norman Lockyer, a étudié cet axe avec un grand intérêt et a suggéré que sa direction était intentionnellement alignée sur le coucher du soleil au solstice d'été, ajoutant ainsi une dimension astronomique à la compréhension du complexe. Grâce à ses calculs, qui combinaient la mathématique précise et les observations de l'astronomie ancienne, il a pu corriger les effets du lent changement de l'obliquité de l'écliptique, phénomène qui modifie progressivement l'inclinaison apparente du Soleil au fil des millénaires. En appliquant ces corrections, Lockyer estima que la date correspondant à l'alignement solaire précis de Karnak, et donc indirectement à la fondation probable du temple, se situerait aux alentours de 3700 avant J.-C..
Cette estimation astronomique coïncide assez bien avec les chronologies généralement acceptées de l'histoire de l'Égypte antique, confirmant à la fois l'importance spirituelle et la longévité de Karnak en tant que centre religieux majeur. La précision de l'alignement, combinée à l'ampleur du site et à la complexité de ses structures, illustre non seulement les connaissances techniques des Égyptiens de l'Antiquité, mais aussi leur capacité à intégrer l'architecture, le rituel et l'astronomie dans un ensemble cohérent et profondément symbolique. Le site continue ainsi de fasciner chercheurs et visiteurs, offrant un témoignage exceptionnel du génie religieux et scientifique de l'Égypte ancienne.
Mort et reconnaissance dans l'alignement sur le solstice
Toutefois, la chronologie historique de l'Égypte ancienne a été révisée de manière radicale au début du XXe siècle, grâce à de nouvelles découvertes archéologiques et à une analyse plus précise des données historiques. Nous savons désormais que la phase initiale de construction du complexe de Karnak a commencé bien plus tard que ce qu'avait imaginé J. Norman Lockyer, plus précisément vers 1900 avant J.-C., au début de la XIIe dynastie. Cette correction montre que les estimations de Lockyer concernant la fondation du temple étaient inexactes, basées sur des calculs astronomiques qui ne prenaient pas en compte les nouvelles données chronologiques.
En prenant en compte cette nouvelle date, il devient évident que les derniers rayons du soleil du solstice d'été n'auraient pas pu pénétrer l'axe principal du temple d'Amon-Rê, car le disque solaire aurait déjà disparu derrière les collines situées sur la rive ouest du Nil. Forts de cette évidence, les archéologues traditionnels ont rejeté en bloc les théories astronomiques de Lockyer, écartant ses conclusions comme étant inexactes ou non pertinentes. Cependant, dans leur empressement à supprimer toute considération astronomique du domaine archéologique, ils ont négligé un élément crucial, qui est pourtant essentiel à la compréhension du site : le coucher du soleil au solstice d'hiver, observable depuis une fenêtre spécifique dans le temple principal, phénomène que Lockyer avait pourtant déjà noté.
Dans les années 1960, l'archéoastronome Gérald Hawkins a entrepris une réévaluation complète de l'alignement du temple d'Amon-Rê à Karnak. Ses travaux ont non seulement confirmé l'existence de la fenêtre du solstice d'hiver observée par Lockyer, mais ont également révélé l'existence d'une deuxième fenêtre, située dans la Salle de Thoutmôsis III, parfaitement alignée avec le lever du soleil au solstice d'hiver. Cette découverte renforçait l'idée que les Égyptiens avaient conçu le temple avec une précision astronomique remarquable. Dans cette salle, une inscription représente le pharaon devant la fenêtre, laissant passer la lumière de l'aube au moment exact de la renaissance symbolique de l'année solaire, et l'inscription loue le visage d'Amon-Rê, considéré comme le plus grand des dieux égyptiens.
Une étude approfondie du complexe de Karnak réalisée en 2005 par M. Shaltout et J.A. Belmonte a permis de démontrer qu'une structure construite par Hatchepsout, la mère de Thoutmôsis III, était également alignée de manière précise. Dans ce cas, le soleil du solstice d'hiver se levait exactement entre deux imposants obélisques de granit rose, créant un phénomène visuel spectaculaire et symbolique. Hatchepsout, qui régna approximativement de 1472 à 1458 avant J.-C., est célèbre pour s'être déclarée pharaon à part entière, un exploit totalement inédit pour une femme de son époque, et sa contribution à l'architecture et aux alignements solaires témoigne de son ambition et de son pouvoir.
Il est tout à fait possible que le site de Louqsor-Karnak ait été choisi pour sa position géographique unique, car à cet endroit, le Nil coule presque perpendiculairement à la direction du lever du soleil en hiver. Cette orientation exceptionnelle permettait aux temples et aux structures sacrées de s'aligner simultanément sur le Nil et sur le lever du soleil au solstice d'hiver, ce qui conférait au site une dimension à la fois religieuse, astronomique et symbolique particulièrement puissante.
Un exemple frappant de cette planification apparaît dans la voie processionnelle du temple d'Amon-Rê à Méroé, situé à environ 900 km (550 miles) au sud de Karnak, dans l'actuel Soudan. Cette avenue semble se situer exactement dans le même alignement astronomique, permettant aux rayons du soleil levant au solstice d'hiver de pénétrer directement dans le temple consacré à ce dieu solaire, de manière parfaitement intentionnelle.
La dévotion envers Amon-Rê était extrêmement répandue à travers tout l'Égypte antique, et de nombreux temples étaient construits en son honneur. Il est donc raisonnable de penser que de nombreux autres temples et monuments de l'Égypte ancienne ont été conçus pour bénéficier d'alignements solaires précis, que ce soit pour célébrer les solstices, les cycles agricoles ou les rites religieux. Ces structures démontrent à la fois la maîtrise technique et la profonde spiritualité des bâtisseurs, reflétant une harmonie entre architecture, religion et observation astronomique.
Ainsi, malgré les révisions chronologiques et les erreurs initiales dans l'interprétation de Lockyer, il apparaît clairement que les alignements solaires au solstice, observables à Karnak et dans d'autres temples dédiés à Amon-Rê, étaient intentionnels et soigneusement calculés, soulignant l'importance que les anciens Égyptiens accordaient aux mouvements célestes dans la pratique religieuse et la construction monumentale.